vendredi 20 mars 2009

Tempête dans le désert





Kovacs entra dans ma chambre sans la courtoisie élémentaire de frapper à la porte.
Son visage était en sueur, sa mine hagarde, on eut dit qu'il avait croisé le chemin de la mort, peu avant de me solliciter.
Sans dire un mot, il posa avec fracas sur le lit de ma chambre, un attaché-case qu'il ouvre après avoir composé le code.
Il en extraya une liasse épaisse de billets verts.
-Voilà vos 5000 euros. Ton avion pour Paris part demain matin à 11 heures. Une berline viendra te chercher, et te conduira à l'aéroport. Nous espérons tous que vous avez passé ici un agréable séjour.
-Très agréable, mon cher Kovacs, mais dites moi, vous me semblez bien inquiet.
-Ne vous inquiétez pas, Professeur. J'ai juste eu le sentiment d'être suivi en venant jusqu'ici.
-Suivi? Avez-vous des problèmes mon ami? Demandai-je.
-Ce doit être encore cette enseignante en Histoire Médiévale qui me traque depuis quinze jours. J'ai beau lui avouer que notre amour est impossible, rien à faire. Sincèrement, croyez-vous qu'un ancien légionnaire qui a joué les mercenaires en Irak, puisse plaire à une femme précieuse?
-Ici, rien n'est possible, vous devez le savoir mieux que moi.
-Welcome to Abhu Dabhi, Mister! Renchérit Kovacs.

L'appariteur de l'antenne de la Sorbonne dans la péninsule arabique est resté quelques temps bavarder avec moi dans la chambre. À deux, nous avons vidé une bouteille de Brandy tout en nous délectant d'un excellent cigare de marque Montecristo. Une fois le barbouze parti, j'ai ôté mon costard trois pièces de marque Smalto, et me suis plongé dans le jacuzzi de ma salle de bain toute faite de marbre de Carrare.
Un verre de champagne à la main, j'ai devisé dans l'eau tiède du bain plusieurs heures durant. Je me souviens des réticences que j'avais à venir ici. Ma conscience allait en souffrir, pensai-je.
Et puis, celle-ci s'est très bien accommodée de cette situation. Pensez-y, deux semaines tous frais payés, pour enseigner l'histoire à des fins de race d'émirs, il y a pire comme situation.
J'allume le téléviseur plasma installé au dessus du miroir de la salle de bains, et voit sur Al-Jazeera, des images de Paris, où les cortèges d'universitaires battent le pavé contre les réformes scélérates de Valérie Pécresse dans l'enseignement supérieur. Et soudain, je regrette presque d'être ici, à me pavaner dans un décor fastueux, alors que mes collègues de la métropole souffrent.

Il est bientôt 19 heures, et me voici à méditer sur mon sort, au quarantième étage de l'hôtel Plazza d'un émirat minuscule mais très riche. J'ai pris gout au luxe depuis mon arrivée ici, et ce soir j'ai rendez-vous avec Anna Petrovskaia, la maitresse d'un oligarque russe qui a échouée ici pour se ressourcer entre deux défilés de mode à Londres et Berlin.
Depuis cette soirée torride, où nous nous sommes rencontrés au bar de l'hôtel, nous ne nous quittons plus. Il m'arrive à la nuit tombée de la rejoindre dans sa chambre, et d'avaler des grains de caviar sur son corps divin.
Jean-Sébastien, me dis-je, c'est vilain ce que tu fais là. À Paris, Gwendoline t'attend. La pauvre enseigne dans le secondaire, passant ses journées à se faire insulter dans un lycée de banlieue par toute une horde de sauvageons. Et toi, tu la trompes avec une splendide ukrainienne, te vautre dans le luxe de façon coupable, et trahis ta corporation pour quelques pétrodollars.
Gwen, c'est pour le bien de notre couple que je suis ici. Une fois rentré en France, avec ma liasse de biffetons verts, nous pourrons souffler un peu financièrement.

Il est deux heures du matin, et je ne trouve pas le sommeil. Anna m'a copieusement essoré ce soir. Allongée près de moi, mon amie est plongée dans un profond sommeil. Ce soir, elle m'a fait découvrir les joies de la colombienne, et me voici déambulant dans ma chambre dans un état second. Je trouve enfin le sommeil, après avoir allumé deux cierges sous l'autel de fortune que j'ai confectionné à l'attention de Jean-Robert Pitte, l'ancien président de la Sorbonne, qui a eu la bonne idée d'ouvrir un centre ici. À Abhu Dabhi, j'ai prié pour vous, Jean-Robert!
Cette nuit-là, j'ai fait quelques cauchemars. Rien de bien grave, je me suis juste souvenu que fut un temps j'avais de l'amour-propre, et des principes. Époque révolue.
Le lendemain matin, Kovacs est venu prendre le petit déjeuner à l'hôtel en ma compagnie. J'ai juste un peu de mal à terminer le homard que mon ami Omar me servit après la douzaine de macarons que je me suis enfilée.

Sur la route de l'aéroport, je suis pris d'une certaine mélancolie. Quitter cet endroit me plonge dans le désarroi, bientôt Paris et ces étudiants débiles, me dis-je.
Alors que je demandai à Kovacs d'accélérer quelque peu pour éteindre ma torpeur spirituelle, un quatre fois quatre blindé qui roulait à notre niveau nous fait une queue de poisson avant de nous arroser au fusil mitrailleur.
À ce moment-là, je me demande qui peut bien m'en vouloir, à moi, Jean-Sébastien Bienverni, professeur d'histoire Moderne à la Sorbonne. La voiture dans un ravin ensablé, je remercie le ciel d'être en vie. Mais qu'adviendra-t-il ensuite? La suite au prochain épisode.

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