jeudi 15 octobre 2009

Les transfuges

Des deux côtés de la Ligne de Démarcation, on s'affairait. Les états-majors s'étaient réunis dès le crépuscule du jour finissant. Au sein des quartiers généraux des deux camps, une certaine nervosité était palpable, les gouttes de sueur perlaient en nombre sur les front plissés.
D'un pas alerte, le Général Kalifa s'extrait de la Jeep, et regagne sous une pluie fine, le quartier général de la Première Armée où se tient une réunion de la plus importance. Le Commandant des Forces Suprêmes, le Maréchal Ory l'attend au rapport. Devant les plus haut gradés des forces Panthéonniennes, le Général expose à ses supérieurs, le plan d'échanges de prisonniers négocié avec l'ennemi. D'une minutie rigoureuse, Kalifa, une fois son exposé achevé, regagne la cour, où l'attend le véhicule sanitaire qui doit le conduire à la Sorbonne.



Le zèle du Général Kalifa savait être apprécié au sein des Forces Panthéoniennes. Certains le préssentaient pour occupper le commandement suprême, une fois le Maréchal Ory trépassé. On murmurait du reste, que l'illustre chef de guerre en avait fait officieusement son héritier, le dépositaire exclusif de sa grandiose oeuvre. Au reste l'opération qui mobilisait le général cette nuit-là, devait se dérouler sous les meilleures augures, l'ennemi ayant pour une fois, tu sa légendaire perfidie.
L'ennemi n'était autre que l'Unité Franchement Réactionnaire, dirigé par le sanguinaire et vieillissant Sous-Maréchal Luc. Secondé par le Commandant Barjot, et le Lieutenant Grondeux, il avait édifié au sein de l'Université Paris IV, un régime autocratique et corrompu. Il poursuivait en celà, l'oeuvre du Chancelier Jean-Robert Pitte. Sous sa férule, la liberté d'expression était baillonnée, toute sédition réprimée dans le sang. Le Président Molinié qui avait voulu démocratiser la Faculté de Sciences Humaines, était retenu illégalement dans ses quartiers par les troupes du sous-Maréchal. Dans une cellule étroite et insalubre de 140 m², le dirigeant légitime, rédigeait ses mémoires, en attendant sa prochaine exécution.

Nul ne sait encore aujourd'hui depuis combien de temps, ce conflit larvé perdure entre les deux universités. Une trève des plus fragiles avait été contractée voilà quelques années entre ces entités soeurs, et pourant ennemies. Il en fallut de peu pour que le conflit ne reprît, et fassent comme par le passé, d'innombrables victimes. La paix s'éloignait à chaque fois qu'on la pensait acquise. Les motifs de frictions étaient du reste trop nombreux, et aucune mission de médiation ne parvint à réconcilier les deux factions.
L'époque était à la méfiance mutuelle. On se livrait, dans chaque camp, à la propagande, pour déstabiliser l'adversaire. Les murs de Paris IV comptait de nombreuses affiches où l'on incitait à la plus infime prudence. L'ennemi était partout, épiait les conversations, s'infiltrait à tous les postes de commandement. On mobilisait tous les efforts disponibles pour dissuader les étudiants de rejoindre le bloc Panthéonien, et l'on raillait avec force le "Paris I way of life". Au delà des campagnes d'informations officielles, il arriva de façon fréquente que le sous Maréchal Luc se livrât à des purges. On fit notamment grand cas lors du procès de Nathalie Mata-Hari Pranchère, de l'important nombre d'éléments séditieux au sein de la faculté.

Cette nuit-là, le sanguinaire Luc avait revêtu son long manteau noir en cuir, et sa casquette d'officier. Il se trouvait dans la cour d'honneur de la Sorbonne, d'un côté de la ligne de démarcation, accompagné de sa maitresse, la trop célèbre Frau Duval. Les troupes de l'UFR amenèrent, d'un pas pressé, les prisonniers qui devaient retrouver leur patrie, suite à l'accord conclu avec le Général Kalifa. Ce dernier arriva sous les coups d'une heure du matin. La pluie gagna en intensité. Kalifa fit signe à ses troupes d'extraire du camion, les quatorze otages qui s'étaient auparavant rendus coupables de haute trahison, pour le compte du peride Luc.

On fit d'abord passer dans l'autre camp, les dissidents de Paris IV, qui franchirent la ligne avec entrain, avant d'être conduits au sein d'un camion sanitaire, où leur serait servi un repas décent, le premier sans doute, depuis leur séjour dans les geôles de Luc.
L'opération se déroula selon la convention décrétée entre les deux parties. Vers une heure et quart, on se quitta. Kalifa et Luc se fixèrent en silence tout le long de l'échange. Dans leurs yeux, pouvaient se lire une haine sourde, qui s'exprimerait sans doute au prochain déclenchement de violence.
Le convoi panthénonien regagna le treizième arrondissement, et la rue de Tolbiac. Dans le véhicule sanitaire, les transfuges, malgré leur santé défaillante, laissaient libre cour à leur joie d'avoir déserté le lieu de perdition qu'était devenu Paris IV sous l'égide de l'UFR.
Désormais, la liberté s'offrait à eux. Offerte, à conditon de s'acquitter des droits d'inscriptions. Moins prohibitifs que dans le camp d'en face. Ce qui était déjà ça.