samedi 4 juillet 2009

Potrait (1)


Selon Ivan Oulianov Al-Zarqawi, tous les maux de l'humanité s'expliquaient. Un seul phénomène était à l'origine des désordres ébranlant le monde: le sionisme.


-Ivan Oulianov, j'ai mal au dos... J'ai du dormir dans une mauvaise position!
-Non, non... Cherche pas, c'est le SIONISME!


Ainsi l'étudiant russo-syrien arrivait-il à mettre un nom sur ce qui minait l'âme de ses amis.


Tapis dans l'ombre, les sionistes dominaient le monde, s'enrichissaient sur le dos des miséreux, et sapaient par leur emprise, l'expression de tous les particularismes identitaires et régionaux. La globalisation, l'économie financiarisée, étaient leur oeuvre.
Et c'était toujours plus au moins de la faute d'un médecin épris des préceptes de Théodore Herzl si des pandémies meurtrières ravagaient des continents entiers.

L'ordre mondial qu'il stigmatisait constituait à ses yeux une entreprise sournoise visant à placer nos esprits et nos corps sous la coupe réglée d'une minorité de génocidaires plus ou moins avoués.
Notre ami se défendait d'être antisémite. Réflexe commun à toute la plèbe des vindicatifs, il se justifiait en aguant qu'il comptait nombre de camarades juifs.

-Oui, les youpins, j'en connais des sympas!
Il était fréquent que l'étudiant mît mal à l'aise ses contemporains. La sympathie qu'il témoignait pour la clique obscurantiste du régime iranien, en faisait glousser plus d'un. Tout comme le badge avec le portrait de Mahmoud Ahamdinejad qu'il arborait à sa veste en toutes circonstances.
-C'est un fou le barbu! Il pend les homosexuels, il est négationniste, et truque les élections d'une façon encore plus visible que la société Endemol!

-Peut-être... Mais il est souriant, affable, et aime son peuple! Vous êtes trop "occidentalistes", vous autres bien-pensants.
La bien-pensance était pour lui la pire faute de goût. On pouvait se balader, enfoncé dans un loden au mois d'août, avoir à ses pieds des chaussettes en dessous des sandales, et être coiffé d'une coupe "mulet", pourvu que l'on déteste conjointement l'Oncle Sam, Israël, et les baklavas de fabrication industrielle, on était digne de demeurer en sa compagnie et d'avoir son estime entière.


L'étudiant dont la chambre était tapissée de posters scintillants à l'éffigie de personnages haut en couleurs tels Vladimir Poutine, ou l'humoriste Dieudonné, vit pourtant un jour se braquer contre lui nombre de ses camarades d'infortune.
A une soirée de fin d'année scolaire organisée sur les quais de Seine, il vida à lui seul une bouteille de vodka et but au goulot d'une seule traite une autre de tequila.
-Ivan, t'es un gros dégueulasse, t'aurais pu nous en laisser...
-C'est pas moi, j'vous dis, c'est pas moi.... C'est le sionisme!!!!

Pourtant ce soir-là, on peina à constater la présence d'un agent du Mossad au niveau de la faculté de Jussieu.
On objectera que notre ami est légèrement paranoïaque, voire de mauvaise foi. Ce serait lui faire un mauvais procès.




mercredi 1 juillet 2009

De la petite vertu des gens d'université



Les étudiants de notre estimée Sorbonne formaient un peuple heureux.
Et pour cause, ils gravitaient dans un sanctuaire de l'intelligence dont l'histoire pluri-séculaire avait achevé de l'ériger en un lieu mythique.

On lisait la fierté sur leur visage à leur entrée dans la cour d'honneur. Leur pas était conquérant, et leur torse s'en trouvait bombé. Tel le nouveau riche qui goûte à sa nouvelle condition au risque de sombrer dans le grotesque, ceux des potassants qui erraient dans notre faculté, en jouissaient sans entraves.

Ces gens nourrissaient un attachement sincère à l'endroit. A un point tel que leur maintien s'en trouvait parfois relâché.
Cette plèbe avait ses travers. Et s'avachissait à intervalles (très) réguliers dans une mesquinerie qui eut de quoi faire sourire, pour peu qu'on en fusse épargné.

Parfois lassés de n'avoir que des sujets de haute tenue en guise de conversation, les étudiants aimaient à partager entre eux leurs petits secrets. Expert(e)s en ragots trouvaient là de quoi s'épanouir, eux dont le quotidien était synonyme de morosité, avaient ainsi l'occasion de conjurer la petitesse de leur sort, en émettant rumeurs, le plus souvent infondées, salissant la réputation d'autrui avec une jubilation notoire.

Malheur à celui ou celle, qui l'âme légère et fragile, tel le jeune Werther de Goethe, se confiait à une personne en laquelle il plaçait sa confiance. Son vague à l'âme, les sentiments nobles et discrets qu'il entretenait, pouvaient être l'instant d'après connus de tous.

Ces gens qui parfois s'ignoraient, ne s'adressant que des salutations timides, quand ce n'était pas l'indifférence qui présidait à leurs relations, se connaissaient pourtant à travers les rumeurs qui circulaient en ces murs.

On savait qu'untel était un piètre amant, que celle-là était une fille de mauvaise vie et vectrice de chouettes infections au niveau du pilou-pilou, qu'un autre avait l'haleine honteusement fétide, ou que cette fille-ci, souffrait d'une maladie incurable.

Il fallait voir les yeux pétiller, les têtes se pencher pour écouter avec une attention redoublée les bruissements impudiques, ou les cercles de gens se former quand un petit(e) polisson(ne) s'adonnait à la bassesse.

Ces gens qui se préparaient pourtant à devenir l'orgueil futur de la nation, et qui pour des raisons parfois aussi infondées que les échos de latrines qu'ils s'échangeaient, avaient une estime très haute d'eux-mêmes, plongeaient ainsi dans la vilénie avec un aplomb redoublé.

Les années, les diplômes, et un phénomène appelé maturité auraient du les éloigner de ces travers qu'on impute de façon plus générale à des collégiens, ou des lycéens, sur qui le sort s'acharne comme les maladies de peau.

Tous sans exception, les esprits les plus hauts, comme les andouilles congénitales, se vautraient dans ce petit passe-temps infamant qui consiste à diffamer ou taquiner l'orgueuil de son prochain.
Certains contenaient pourtant leur attrait à ce jeu qui ravale le futur thésard au rang de la shampouinneuse de province. Mais un grand nombre y consacrait une énergie déraisonnable.

A l'occasion de ces dernières semaines qui furent consacrées à la chienlit, et à opérer une répétition générale en vue de l'explosion sociale qui se profile joyeusement, notre aimable université s'était transformée en théâtre de la cruauté qui aurait effrayé jusqu'aux vautours nobliaux des romans de Simenon.

Les Candide s'en retrouvèrent à jamais déconsidérés. Qu'ils fussent d'un camp ou d'un autre, la rumeur constituait une arme de destruction massive que n'aurait pas dénié dénicher un G.I dans le désert irakien.
A présent que sonne l'heure de la fin d'année, gageons que la vilénie se taira un peu chez ce peuple turbulent.


En attendant, l'envie nous taraude de vous faire partager un de ces bruits qui a animé les conversations de par notre flamboyant édifice. Le conditionnel est de rigueur, jugez plutôt: "Les étudiants seraient des honnêtes gens."

Stupéfiant, non?




Illustration: Norman Rockwell, The Gossip.



Texte à savourer avec l'écoute de la Poullailler Song d'Alain Souchon ou la triste mais révélatrice chanson de Jacques Brel, Ces gens-là.