jeudi 4 mars 2010

Merci? Pitteux, J.R

Cher Jean-Robert,

Mon cher Jean-Robert Pitte, la familiarité n'a aucune raison de présider à notre relation.
Nous nous sommes jamais fréquentés, et comme beaucoup d'indigents de par le monde, tu ignores jusqu'à mon existence.
Je te connais, moi. En tant qu'ancien président de Paris IV Sorbonne. Également, par tes saillies largement relayées par les médias, heureux de trouver en toi un "pourfendeur du politiquement correct." En somme, un de ceux qu'on nomma jadis les déclinologues. Qui pour sortir la France de son marasme, se proposèrent de lui infliger une cure de jouvence ultra-libérale, et qui crurent au grand soir, une fois Sarkozy élu.
Seulement, la crise aidant, Guaino conspirant, les sondages faisant, vous avez du déchanter, remiser à une date ultérieure l'avènement d'une France enfin "débarrassée du socialisme", comme le clame avec mesure le marchand d'armes, et néanmoins poète, Serge Dassault. Les premiers déçus du Sarkozysme, avant la masse d'employés qui crurent qu'en turbinant plus, ils pourrait amasser plus.

Tu fus mon président, lors des deux premières années de mon ennuyant séjour en Faculté d'Histoire. Avant d'être évincé par une sombre conjuration, réunissant contre ton auguste bienséance, fidèles d'hier, crypto-staliniens, et autres nostalgiques de l'Albanie d'Enhver Hoxa.
L'immobilisme français, que tu stigmatisais avec force, a ainsi pris sa revanche, incarnée par le rhétoricien Molinié, dont la diction, comme les idées, sont bigrement confuses.
On ne reviendra pas ici sur ton atlantisme, ton homophobie supposée, tes notes de frais astronomiques, tes génuflexions répétées aux Émirs du Golfe, pour qu'ils souscrivent à l'implantation dans leur désert mortifère, d'une antenne estampillée "Sorbonne."

Car aujourd'hui, c'est l'œnologue, l'amateur raffiné de vins et spiriteux, qui milite pour que l'UNESCO considère notre gastronomie à la hauteur du temple d'Angkor, ou des pyramides de Gizeh, que j'aimerais applaudir de mes deux mains cagneuses.
Toi, que je vouais aux gémonies autant que le souvenir du Général Pinochet, les carottes râpées, et les eaux minérales surchargées en magnesium. Toi dont j'espérais le terrassement à l'issue du grand chambardement, qui allait précipiter toutes les fripouilles conservatrices dans les oubliettes, ou poubelles de l'histoire, tout dépend de l'idée qu'on se fait du confort.

Et bien, laisse moi dire, que la furie prolétarienne t'épargnera. Surpris, hein?
On efface l'ardoise. L'amnésie quant à ta personne, devient totale. On te fait grâce du nombre incalculable de fois, où tu envoyais les flics nous gazer quand nous voulions seulement tenir une A.G.

On apprend que tu veux réintroduire le pinard dans les restaurants universitaires. La lumineuse idée. Familiariser le milieu étudiant, si prompt à se cuiter de façon minable, avec les meilleurs sirops de notre terroir. Voilà qui les rendra heureux, leur fera oublier l'étendue de leur misère, et leur horizon bouché, ou nul.
Et puis le vin, est une liqueur dont les vertus ne sont plus à chanter. Avant de soutenir un exposé, un mémoire, ou même défendre sa thèse, ingurgiter un petit canon s'avère indispensable, pour la fortune des cordes vocales, et un bon fonctionnement physiologique général.

Voilà aussi qui ramènera les étudiants vers les C.R.O.U.S. Qui précipitera la chute de la consommation de sodas, et la fermeture de toutes ces chaines de restaurations à la bouffe formatée, saturées de mauvaises graisses, aux boissons pauvres en sulfites. Ces lieux de perdition, où les plaisirs de la table sont moindres, qui demeurent seulement prisés des crétins qui ont les papilles en berne comme la zézette.

Merci, Jean-Robert.
Avant que ton idée fasse naturellement son chemin, je ne serais intégralement satisfait que si tu daignes nous octroyer picrates dignes de ce nom. Autant se piquer la ruche avec du bon, et pas avec du casse-patte, mais du enchante-pitte!
C'était facile. Un dernier effort, président adoré. Si tu tiens tant à nous fourguer du pif, fais preuve de zèle. Vide ta cave!

lundi 1 mars 2010

Pour venger les pépères


Le cérémonial demeurait en l'état, inchangé, malgré les années. On ne savait même plus comment il fut institutionnalisé.
Le Rétif fermait la porte de sa mansarde sous les coups de sept heures et demi du soir. Dans les escaliers, il croisait sa propriétaire, une femme d'une cinquantaine d'années, pas trop amochée par la vie. Elle était riche et bohème. Affichait toujours cet air ravi qui était une marque à peine déguisée de sournoiserie.
Ensuite, il se dirigeait vers le marchand de vins et spiritueux, demandait une bouteille de Cutty Sark qu'il réglait toujours en liquide. C'est vers le métro que ses pas l'entrainaient ensuite. Direction le treizième arrondissement.
Près du pont de Tolbiac, on comptait une ancienne fabrique reconvertie en squat, où se réunissaient des gens qui se nommaient "alternatifs". Et aussi quelques marginaux, qui eux n'allaient pas chercher ailleurs que dans leur passif, les raisons de vouloir foutre en l'air la société.
Le Rétif était de ceux là. Ainsi que la Cigale, un grand provençal au nez allongé, charmant comme son accent. Et puis Le Bourguignon, qui depuis quelques années, avait perdu son large sourire contre une mine empruntée. D'autres qui avaient connu la traumatisante expérience du "séminaire" se joignaient parfois à eux.
C'est dans une salle à l'écart du squat que prenaient place ceux qui avaient connu la Sorbonne en ce temps-là. Aux tenants du lieu, ils avaient imposé leur présence lors d'épiques joutes où la persuasion s'obtenait au tesson de bouteille.
Confinés dans leur cellule sombre, faiblement éclairée par des bougies chauffe-plat, les "anciens", ou "survivants", se piquaient gaiment la ruche jusqu'au lever du jour.
Ils évoquaient là leur ressentiment. Vis à vis de l'institution universitaire qui en avaient fait des clodos, des loques humains aux perspectives d'avenir limitées, pour ne pas dire nulles.
Une fois leur diplôme obtenu, les concours passés, ils avaient enchainé missions, stages, vacations. Connu une forme de précarité aliénante.
Leurs trajectoires, rompues, avaient fini par se recouper. C'est de la même rancœur qu'ils se nourrissaient, la même hargne dont ils soupaient.
Aussi avaient-ils décidé à un moment précis de conjurer leur frustration. Durant leurs causeries, ils avaient sans peine, réussi à établir qui les avaient foutus dans le merdier, précipités dans la jungle des contrats intérimaires, rémunérés en crottes de nez. Et dès lors, les choses allèrent de leur mieux.

On avait rédigé une liste, pris soin d'y inscrire les noms des fautifs.
Les enseignants, qui se livraient régulièrement sur eux à des humiliations, qui feraient passer les tournantes pour des goûters d'anniversaires, eurent le droit au chapitre. Ceux du séminaire, les anciens du Master "Histoire contemporaine des sociétés Occidentales", chacun dans leur spécialité, exécutèrent leur vengeance avec une implacable détermination.

Le Rétif, qui vivait essentiellement d'escroqueries, de larcins et de cambriolage, les initia à la voltige, au maniement des armes, aux affres de la clandestinité, à se procurer de l'argent en toutes circonstances. La Cigale, s'occupa de dénicher adresses où étaient recluses les badernes qui les avaient humiliés. Le Bourguignon, lui, apprit à cacher son arme de poing muni d'un canon silencieux dans les hots-dogs dont il avait toujours été friand.

Le prof qui avait un cheveu sur la langue et les snobait, son acolyte alcoolique, la vieille languedocienne qui les tyrannisait à coups de tableaux sémantiques, furent leurs premières victimes. On compta aussi dans les macchabées, les prétentieux, du style Verschu, petit normalien fumiste et suffisant qui finit le corps criblés des trois chargeurs des flingues du Rétif, de la Cigale et du Bourguignon.
Les armes parlaient, et ne semblaient pas vouloir se taire. On nous avait mentis. Pris pour des billes. Reçu de la condescendance au kilomètre, car nous étions provinciaux, travailleurs, banlieusards. Nous n'avions pas votre morgue, et vous nous avez en retour montrés toute votre nuisance.

Le fléau ne semblait pas prendre de fin. Et quand les anciens séminaristes qui s'employaient dans la vengeance à renouer avec une dignité piétinée, se retrouvaient le samedi soir dans le squat, ils buvaient de grandes rasades d'alcool fort en se souvenant, émus, des causeries du mardi après-midi.