lundi 31 mai 2010

Les carnets de l'anarchiviste

C'est toujours le même cérémonial. Il est 16h29, et nous ne doutons pas que dans moins d'une minute, l'annonce sonore nous invitant à dégager sous peu, va retentir et nous glacer un sang d'ordinaire bien bouillant.
Notre esprit frétille tel l'éperlan en poêle. Nous allons enfin arriver à bout de ce pourquoi nous sommes ici. Et peut-être même établir un brillant mémoire de première année. Va savoir, nous pourrions aussi nous faire remarquer pour la splendeur de notre étude, trouver un sens à une vie, théâtre d'un désenchantement similaire à celle d'un fonctionnaire grec subissant les joies de la rigueur budgétaire.
Et soudain, cette putain d'admonestation monocorde qui se fait entendre. L'atmosphère change. On se croirait, vu la configuration de salle, haute de plafond, d'architecture assez récente à en juger par les baies vitrées à son sommet et à ses côtés, dans la base secrète d'un méchant de James Bond à l'heure de son autodestruction. Notre mémoire auditive à l'instar d'un jukebox, nous programme un thème muscial de John Barry, sensé retranscrire la précipitation du chef des vilains et de ses affidés à se débiner avant que le ciel ne leur tombe sur la tête.
Et ici, c'est pareil ou presque. Sauf que nous ne sommes pas Sean Connery, et que nous ne comptons pas à nos côtés, une belle pépée ingénue en tenue sexy, à sauver en plus du monde libre.
On se presse pour confirmer la prolongation de notre carton au guichet. Lequel compte parmi ses ressortissants quelques beaux specimens en terme de vivacité tant spirituelle que physique. Nous nous retrouverions devant un ban d'huîtres chez le mareyeur que notre allant n'en serait pas plus atteint.
Comprenant que notre présence ici est aussi désirée parmi le personnel du site que celle d'un GI dans les environs de Fallaoujah, nous courrons jusqu'au rez de chaussée retrouver notre casier où sont empilées nos affaires civiles. Le tout après avoir démontré à la sortie de la salle de consultation que non, nous n'avons dérobé aucun document, que malgré le retard, la faiblesse de notre future démonstration, nous souffrons de quelques scrupules. C'est con, mais c'est comme ça.
Devant le casier à combinaison, nous nous trouvons amnésiques. Le code, putain! Ce putain de code à quatre chiffres, qui aurait du être en toute logique, celui de ta date de naissance, moyen mémo-technique simple, (vu que tu n'en as qu'une), et bien non, tu as voulu jouer au malin, et tu ne sais plus si au moment de verrouiller le petit réduit, si tu as choisi la date de l'accession au trône de Philippe le Bel, ou celle de la révolte des vignerons languedociens, impitoyablement matée par Clémenceau en 1906.
Alors, tu convoques le préposé aux vestiaires, qui gît mollement près des toilettes, et dont on se doute que l'existence doit contenir par milliers de moments folichons.
-Monsieur, me souviens plus de mon code.
-Z'aviez quoi dans votre casier?
-Bah, mes affaires...
-M'en doute bien!
-Un sac Eastpak noir, une veste bleue marine achetée en solde au Zara de la rue de Rivoli, un paquet de Fortuna, le dernier numéro du Monde Libertaire, et d'autres trucs parfaitement inutiles.
-J'vous z'ouvre. Mais la prochaine fois, souvenez vous de votre combinaison. C'est pas compliqué merde!

Non, c'est très simple, ajouterions-nous si nous n'étions pas dépourvus de zèle.
Cette évacuation s'achève sur ta sortie dans la rue. La salutaire bouffée d'air, après cette évacuation au pas de charge, exécutée de façon gauche. La fille aux jolis mollets, au minois tout doux, à la chevelure ondoyante, s'en va vers Rambuteau, quand tu t'en vas vers le métro Saint Paul.
Et c'est là, plus que lors de la manoeuvre piteuse que tu viens d'effectuer, que tu mesures, mieux que tous les philosophes et autres littératures qui se bousculent depuis des lustres pour dépeindre les tourments de l'âme, l'incroyable absurdité de ta condition.