mercredi 1 juillet 2009

De la petite vertu des gens d'université



Les étudiants de notre estimée Sorbonne formaient un peuple heureux.
Et pour cause, ils gravitaient dans un sanctuaire de l'intelligence dont l'histoire pluri-séculaire avait achevé de l'ériger en un lieu mythique.

On lisait la fierté sur leur visage à leur entrée dans la cour d'honneur. Leur pas était conquérant, et leur torse s'en trouvait bombé. Tel le nouveau riche qui goûte à sa nouvelle condition au risque de sombrer dans le grotesque, ceux des potassants qui erraient dans notre faculté, en jouissaient sans entraves.

Ces gens nourrissaient un attachement sincère à l'endroit. A un point tel que leur maintien s'en trouvait parfois relâché.
Cette plèbe avait ses travers. Et s'avachissait à intervalles (très) réguliers dans une mesquinerie qui eut de quoi faire sourire, pour peu qu'on en fusse épargné.

Parfois lassés de n'avoir que des sujets de haute tenue en guise de conversation, les étudiants aimaient à partager entre eux leurs petits secrets. Expert(e)s en ragots trouvaient là de quoi s'épanouir, eux dont le quotidien était synonyme de morosité, avaient ainsi l'occasion de conjurer la petitesse de leur sort, en émettant rumeurs, le plus souvent infondées, salissant la réputation d'autrui avec une jubilation notoire.

Malheur à celui ou celle, qui l'âme légère et fragile, tel le jeune Werther de Goethe, se confiait à une personne en laquelle il plaçait sa confiance. Son vague à l'âme, les sentiments nobles et discrets qu'il entretenait, pouvaient être l'instant d'après connus de tous.

Ces gens qui parfois s'ignoraient, ne s'adressant que des salutations timides, quand ce n'était pas l'indifférence qui présidait à leurs relations, se connaissaient pourtant à travers les rumeurs qui circulaient en ces murs.

On savait qu'untel était un piètre amant, que celle-là était une fille de mauvaise vie et vectrice de chouettes infections au niveau du pilou-pilou, qu'un autre avait l'haleine honteusement fétide, ou que cette fille-ci, souffrait d'une maladie incurable.

Il fallait voir les yeux pétiller, les têtes se pencher pour écouter avec une attention redoublée les bruissements impudiques, ou les cercles de gens se former quand un petit(e) polisson(ne) s'adonnait à la bassesse.

Ces gens qui se préparaient pourtant à devenir l'orgueil futur de la nation, et qui pour des raisons parfois aussi infondées que les échos de latrines qu'ils s'échangeaient, avaient une estime très haute d'eux-mêmes, plongeaient ainsi dans la vilénie avec un aplomb redoublé.

Les années, les diplômes, et un phénomène appelé maturité auraient du les éloigner de ces travers qu'on impute de façon plus générale à des collégiens, ou des lycéens, sur qui le sort s'acharne comme les maladies de peau.

Tous sans exception, les esprits les plus hauts, comme les andouilles congénitales, se vautraient dans ce petit passe-temps infamant qui consiste à diffamer ou taquiner l'orgueuil de son prochain.
Certains contenaient pourtant leur attrait à ce jeu qui ravale le futur thésard au rang de la shampouinneuse de province. Mais un grand nombre y consacrait une énergie déraisonnable.

A l'occasion de ces dernières semaines qui furent consacrées à la chienlit, et à opérer une répétition générale en vue de l'explosion sociale qui se profile joyeusement, notre aimable université s'était transformée en théâtre de la cruauté qui aurait effrayé jusqu'aux vautours nobliaux des romans de Simenon.

Les Candide s'en retrouvèrent à jamais déconsidérés. Qu'ils fussent d'un camp ou d'un autre, la rumeur constituait une arme de destruction massive que n'aurait pas dénié dénicher un G.I dans le désert irakien.
A présent que sonne l'heure de la fin d'année, gageons que la vilénie se taira un peu chez ce peuple turbulent.


En attendant, l'envie nous taraude de vous faire partager un de ces bruits qui a animé les conversations de par notre flamboyant édifice. Le conditionnel est de rigueur, jugez plutôt: "Les étudiants seraient des honnêtes gens."

Stupéfiant, non?




Illustration: Norman Rockwell, The Gossip.



Texte à savourer avec l'écoute de la Poullailler Song d'Alain Souchon ou la triste mais révélatrice chanson de Jacques Brel, Ces gens-là.

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