vendredi 3 avril 2009

La journée d'une R.G



6h00: Lever aux aurores. Au dehors, le chant des moineaux se fait entendre. Le ronflement de Roland, mon mari, aussi. Je quitte le lit défait après une nuit d'ébats torrides. Une longue journée m'attend.

6h30: Une fois toiletté, je bois mon café, seule, dans la cuisine. Je souffre de nombreuses courbatures. Hier soir, j'ai fait la courte échelle à un militant de l'UNI, pour qu'il puisse coller ses affiches anti-blocages sur la façade d'un immeuble situé en face de la Sorbonne. En rentrant, Roland m'a littéralement sautée dessus. Mon mari officie à la brigade des stupéfiants, et il lui arrive de servir dans les saisies de drogue. Ceci doit expliquer que son appétit sexuel se trouve décuplé à certains instants.
Les jambes flageolantes et les épaules broyées, je m'apprête à partir au charbon, quand mon fils surgit à mes pieds. Encore en pyjama, et la morve au nez, Kévin me couvre de câlins avant de me tendre la liste des enfants sans-papiers inscrits dans son école. 7 ans, le fiston, et déjà l'âme d'un flic. Je ne peux qu'être fière de lui.

7h00: Me voici arrivé au siège de la D.C.R.I (Direction Centrale du Renseignement Intérieur), à Levallois-Perret, où je vais bientôt recevoir les instructions pour la journée. Le maire de Levallois, Patrick Balkany, est passé en voisin. Je lui fais un clé de bras après qu'il m'ait proposé de lui faire une fouille au corps rapprochée. Fuir le satyre des Hauts de Seine n'est pas une mince affaire.


7h15: Je fais un détour au vestiaire pour enfiler ma tenue de camouflage en milieu étudiant. Pour ne pas attirer l'attention des gauchistes sur ma personne, je me suis confectionné le costume adéquat. Je me lave mes cheveux au beurre blanc, me tartine toutes les surfaces de mon corps avec du fromage de brebis, avant de mettre à mon cou un keffieh troué. Me voici parée pour ma mission d'infiltration en Sorbonne, où se tient aujourd'hui une assemblée générale décisive dans la reconduite du mouvement universitaire.


7h55: Me voici dans le quartier Latin. Je rejoins mon indicateur dans un café de la rue Victor Cousin. Ernest*, étudiant frisé, me rencarde sur les contestataires les plus actifs. Mon attention s'arrête sur un certain Baptiste L., dont mon informateur me dresse un portrait effrayant. D'ici la fin de la semaine, ce dernier se trouvera à Fleury, et goutera aux joies des douches collectives en milieu carcéral.


8h30: Je m'asseois à l'arrière de la camionnette balisée, garée rue Champollion, où est installée une table d'écoute, me permettant de surveiller les communications téléphoniques des principaux activistes. Je me branche sur la ligne du Président Molinié, et je peine à comprendre son propos, ce dernier ayant un débit de parole pour le moins particulier. "Oui, c'est ça, un coca, et une grande frite!", réussis-je à saisir. Un message codé sans doute?


9h15: Sur mon ordinateur portable, je consulte les blogs tenus par les meneurs étudiants. Au milieu des fautes d'orthographe et des propos incohérents, je vois que ces derniers ont décidé de faire un sit-in devant le siège Figaro pour protester contre le traitement du quotidien de Serge Dassault de la question universitaire. Ce qui est bien avec Internet, c'est que les gens comme moi n'ont même plus besoin d'aller chercher l'information, elle nous est directement livrée.


10h00: Je quitte la camionnette pour pénétrer dans l'enceinte de la Sorbonne. Dans une heure se tiendra l'A.G, qui réunira étudiants, personnels, et enseignants chercheurs dans l'Amphithéâtre Richelieu. Dissimulé derrière la statue de Victor Hugo, je prends discrètement des photos des étudiants rassemblés dans la cour d'honneur. Un mal de ventre tenace me saisit. J'ai trop abusé du Larzac, et l'odeur du fromage de brebis me terrasse le naseau.


11h00: L'assemblée générale débute. L'amphithéâtre est bondé. Une motion est votée contre l'important dispositif policier qui cerne l'université. Les Renseignements Généraux sont conspués. Un étudiant saisit le micro : "Elle est où d'ailleurs, cette blondasse qui manque de discrétion quand elle nous observe?". J'enfonce la tête dans mon keffieh afin de ne pas être reconnue.


14h30: L'amphi se vide. L'A.G a été particulièrement animée, et a vu les membres du Julien Coupat Fan Club, se disputer avec les membres de l'AGEPS, le principal syndicat étudiant de la Sorbonne. Je sors pour aller vomir aux toilettes. Il faudra à l'avenir, que je trouve un autre parfum que le fromage bio.


15h30: Une aile du rectorat est assaillie par des protestataires. Les vigiles interviennent et débusquent les flibustiers sans omettre de leur ratatiner la tronche au passage. Après avoir assisté à ce spectacle tordant, je retourne dans la camionnette. Je surveille toujours les conversations de Georges Molinié, décidémment très doué pour brouiller les pistes: "Oui, chérie, je n'oublie pas d'aller chercher du pain en rentrant!". Je peine à décoder ce message.


17h00: Je m'installe sur la Place de la Sorbonne où est donné un cours alternatif: "Les principes de la philosophie kantienne et de son influence dans la psychanalyse lacanienne". Quand je pense, que nos impôts vont à tous ces fainéants...


18h00: Une bande d'étudiants occupe de façon spontanée la rue des écoles. Je me place à leurs côtés. Les C.R.S dans la précipitation m'embarquent avec les rageux dans le panier à salade. J'ai beau leur indiquer que je suis de la maison, ces derniers ne m'écoutent pas, et me matraquent mon doux minois avec soin.


21h00: Je quitte enfin le commissariat du cinquième avec les excuses empressées de mes collègues. La gueule défaite, je rejoins la camionnette dont les Pneus ont été crevés. Les ennuis s'accumulent, et à cet instant précis, je préférerais exercer mes talents ailleurs, y compris en Haute Corse, ou en Guadeloupe.


23h00: Enfin rentrée à la maison. J'ai attendu le RER durant trois quart d'heure à Saint-Michel, en raisons de foutus problèmes techniques. Kévin dort du sommeil de l'enclume. Le brave petit s'est illustré à l'école aujourd'hui en dénonçant plusieurs de ses petits camarades qui avaient triché à une dictée. Pensant m'endormir tranquille, Roland déboule dans ma chambre, complètement éméché, et me fait le coup du légionnaire. Mon corps est couvert de bleus, et ma diginité s'est envolée. Rude journée.


Les universitaires peuvent penser ce qu'ils veulent, ils ne sont pas les seuls à souffrir.






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