lundi 6 avril 2009

Journée d'un C.R.S





6h15: Je me réveille avec un mal de crâne tétanisant. Hier soir, la compagnie et moi avons fêté notre centième interpellation de l'année. Dans un rade pourri de banlieue, les collègues et moi avons assouvi notre légendaire passion pour l'anisette. La soirée a failli dégénérer quand un individu de type nord-africain nous a fait observer que nous constitutions un corps de police composé de fieffées andouilles incultes et brutales. Pour lui prouver notre respect de la dignité humaine, nous avons conduit le malheureux dans une ruelle étroite et mal éclairée. Tout la compagnie s'en est donnée à coeur joie pour lui démontrer l'humanisme dont nous sommes tous empreints. Le malheureux a perdu ses dents de sagesse, sans avoir à débourser le moindre euro. Au plus près des citoyens, nous agissons chaque jour pour votre bien-être.


7h00: Nous quittons le cantonnement pour rejoindre Paris. Le maigre cortège que nous composons, (pas plus de douze estafettes, avec à leur bord, 14 hommes), est amené à s'installer aux environs de la Sorbonne, où depuis plusieurs semaines règne une agitation des plus débridées.


8h00: Nous voilà en place, le long du trottoir de la Rue Saint-Jacques. Nous n'interviendrons qu'en cas de grabuge aggravé. L'entrée de la faculté nous est interdite, ce qui irrite nombre de collègues avides de casser du petit-bourgeois. Nous voilà condamnés, à moins d'une heureuse provocation, à stagner dans nos véhicules toute la journée.


9h45: Toujours rien à signaler au dehors. L'endroit semble calme. J'achève la lecture des Fleurs du Mal de Beaudelaire, avec une larme à l'oeil. Rémunéré à taper sur des loquedus, je n'en suis pas moins doté d'une âme sensible.


10h30: L'ennui nous terrasse dans l'estafette. Certains jouent aux cartes, d'autres aux petits chevaux, tandis que le commandant Nervi, lui, peine à terminer sa grille de mots fléchés entamée voilà trois semaines. Se tournant vers moi, il me demande: "Sensible en quatre lettres? Pédé, ça marche?". L'autoradio branché sur Nostalgie diffuse du Chantal Goya. Je demande au lieutenant Brutos de changer de fréquence. Je peine à contenir mes larmes, tant entendre Bécassine, ma cousine, m'évoque de tendres souvenirs d'enfance.


11h45: L'heure de la collation. Les brigadiers Cassoce et Viandard ont confectionné de copieux sandwichs. Végétarien, je décline leur offrande, quand ces derniers me tendent un robuste Jambon-Beurre-Saumon-Tomate-Cornichons-Rillettes-Mozarella. A la place, je me délecterai d'une assiette de tofu et de carottes rapées.


13h00: Tout le monde, excepté moi, ronfle dans le véhicule. Affalés au sol, mes camarades peinent à digérer leur déjeuner. Tandis que ces derniers somnolent, je relis ému les Châtiments de Victor Hugo. Devant tant de beauté, il m'est désormais impossible de réprimer ma mélancolie. Je sors sur le trottoir, et une cigarette à la main, je fais les cent pas.


15H00: Nous recevons un appel nous intimant l'ordre de nous tenir prêts à intervenir. Je referme la correspondance de Gustave Flaubert, alors que dans l'estafette les camarades s'agitent. Nous déboulons à grandes enjambées dans la Rue Victor Cousin, prêts à matraquer ce qui nous passe sous la main. Soudain, le chef nous invite à amorcer la retraite. Bredouilles, nous rentrons dans nos véhicules, dépité de point avoir eu à cogner.


16h00: Il s'avère que nous avons été vicime d'une mauvaise blague de la part des gendarmes mobiles, qui se sont branchés sur notre fréquence, afin de nous induire en erreur. Ces derniers, stationnés le long de la rue des écoles, se bidonnent depuis une heure devant notre malheureuse spontanéité. Ce soir, nous nous sommes jurés de les prendre au Ricard, et rira bien qui rira le dernier.


17h15: Je n'ai plus rien à lire. Le lieutenant Latrique me tend un vieux numéro d'Entreveue, pour palier à mon manque de lectures saines. Malheureusement pour moi, les pages sont toutes collées les unes aux autres. Même la playmate en couverture semble avoir souffert de son passage entre les mains du lieutenant. Autour de moi, les collègues se jurent d'avoir la peau des gendarmes mobiles.


18H00: L'ambiance est montée d'un cran. Depuis la radio, nous insultons les gendarmes avec une certaine véhémence dans le ton. Ces derniers nous répliquent avec les mêmes slogans que ceux que les étudiants scandent dans notre direction lors des manifestations : "CRS, en colère, le Pastis, il est trop cher!", "CRS, serre les fesses, on arrive à toute vitesse!". N'en pouvant plus de subir tels affronts, les commandants de nos compagnies se concertent pour attaquer les "mobilards".


19h30: Les badauds sur le trottoir rient à gorge déployée. DuranAjouter une imaget plus d'une heure, ils ont vu s'affronter gendarmes et CRS sous leurs yeux ébahis. Le commandant Nervi est au sol, après avoir subi un tir de flashball. "Rengagez-vous qu'ils disaient, rengagez-vous qu'ils disaient!" psalmoident mes collègues allongés sur des brancards.


21h00: Notre ministre de tutelle, Michèle Alliot-Marie est arrivée sur les lieux de ce pugilat insolite. La voilà qui nous engueule, le visage encore plus crispé que d'ordinaire. En concertation avec notre hiérarchie, il a été décidé que nous serions mutés en Afghanistan pour aider à la formation de la police locale.


Avant de rejoindre Kandahar, j'aimerais vous faire part de ma profonde tristesse. Avec une situation sociale aussi explosive dans l'Hexagone, j'aurais à coup sûr pu montrer l'étendue de ma sensibilté au peuple en colère. Hélas, pour moi, il n'en sera rien.

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